AISLF Tunis 2021

Le Congrès est organisé à distance

GT28 - Mouvements sociaux

Correspondant pour le Congrès : Brieg CAPITAINE - brieg.capitaine@uqo.ca


Appel à communiquer du GT28


Morales en mouvement, mouvements dans la morale

La question morale, que l’on croyait éculée, opère un surprenant retour dans les mouvements sociaux aussi bien démocratiques que conservateurs et réactionnaires. Adversaires et défenseurs de la prostitution, de la dépénalisation des drogues, du droit au logement, au suicide assisté ou au consentement mutuel, de la peine de mort ou du racisme justifient leurs positions en termes moraux. Les crises économiques ou politiques se traduisent aussi par des appels à la « moralisation de la vie politique » ou à la « moralisation du capitalisme ». Au prisme des mouvements sociaux, la morale apparaît dans ses multiples significations et représentations en tant qu’objet central de conflits juxtaposant les champs politiques, économiques ou culturels auparavant appréhendés de manière autonome. Dans un contexte marqué par l’individualisation de la vie sociale, la morale constitue un puissant moteur d’indignation et d’action collective comme avec les mouvements des places depuis 2010 (Occupy, Indignés) (Pleyers, 2016), le récent mouvement global des jeunes contre les changements climatiques ou encore #Metoo. Les sociétés postindustrielles seraient caractérisées par la centralité du sujet moral, seul acteur capable de lutter contre les forces impersonnelles du marché et la violence (Touraine, 2013). Le mépris, la dignité, la reconnaissance formeraient la grammaire dominante de représentation des injustices (Honneth, 2004). Les émotions, désormais intimement liées à l’action sociale impliquent ainsi de comprendre de nouvelles formes d’agir démocratique (Ogien et Laugier, 2014) que le sociologue aura tout intérêt à observer dans les espaces de politisation discrète où les acteurs, en retrait des mobilisations sociales, s’organisent collectivement (Carrel, 2017).

Si la morale constitue aujourd’hui une grille de lecture privilégiée, celle-ci n’était pas absente des mouvements ouvriers au tournant du XXe siècle. Il convient donc de s’interroger sur les transformations historiques du statut de la morale dans les mouvements sociaux sans nier ses effets pervers comme l’évincement des luttes redistributives (Fraser, 2004). Le thème de la morale a trouvé également un second souffle à travers le retour de mouvements conservateurs (anti-IVG) ou racistes (liberté d’expression). Les croisades morales (Mathieu, 2005) et l’appel au « bon sens », au « bon » peuple, à la nature ou au respect, opposés à « la » théorie du genre, au multiculturalisme ou au « politiquement correct » sont aussi les adjuvants du maintien, par l’invocation d’une certaine morale, d’un ordre social qui conduit à la criminalisation d’autres mouvements sociaux démocratiques. Ce renversement pose de sérieux défis aux sociologues contraints de se réapproprier un langage moral désormais détourné. La mise en place des dispositifs d’éducation citoyenne visant à affermir les capacités critiques des citoyens, notamment des jeunes, pour lire la complexité des dynamiques sociales est révélatrice de la fragilité de la démocratie participative (Gaudet, 2018).

S’interroger sur la morale implique d’analyser les processus à travers lesquels les mouvements sociaux redessinent les frontières de la société civile à travers des conflits incessants portant sur le sens donné aux principes moraux que les acteurs n’ont de cesse de déplacer, de repousser, d’étirer (Alexander, 2006) et ce d’autant plus que s’accentue la place des réseaux sociaux dans les mouvements sociaux.