AISLF Tunis 2021

Le Congrès est organisé à distance

GTE01 - Le paradigme décolonial dans les sciences sociales de langue française

Correspondante pour le Congrès : Sonia DAYAN-HERZBRUN - soherzbrun@yahoo.fr


Appel à communiquer du GTE01


Place et usages du paradigme décolonial dans les sciences sociales de langue française

Introduites tardivement en France, les études postcoloniales y ont été l’objet de vives attaques et ont trouvé difficilement leur place au sein de l’université. Parce que l’approche postcoloniale s’est développée largement dans l’espace anglophone, elle a été considérée comme un phénomène d’importation, alors même que le philosophe et politologue camerounais Achille Mbembe dans son livre De la Postcolonie, s’interrogeait dès 2001 sur les impasses de la théorie sociale, incapable de penser les évolutions/révolutions du monde contemporain. Dans l’approche postcoloniale il ne s’agit pas de considérer que les décolonisations ont constitué une rupture et le passage à une ère des « indépendances », mais au contraire de poser que la colonisation n’a cessé non seulement de marquer les rapports politiques et sociaux au « Nord » comme au « Sud », mais aussi de structurer les modes de connaissance et de rapport au monde (Hall, 2007). On parle ainsi de « colonialité du pouvoir » (Quijano, 2007) ou de « colonisation du savoir » (Gordon, 2008). L’approche postcoloniale a ainsi permis de mettre à jour l’impensé colonial très largement présent dans les sciences sociales, tout comme la critique féministe avait rendu visible l’impensé androcentré (sous les sciences…). Elle pose ainsi des questions épistémologiques majeures. On peut en énumérer quelques unes :

  1. Qu’en est-il, dans les sciences sociales de la relation entre sujet connaissant (ou légitimé par un ensemble d’institutions à émettre de la connaissance) et objet de cette connaissance et quelle est la place de ceux qu’en anthropologie on appelle les « informateurs » (Rabinow, 1988) ?
  2. Comment faire place à la parole directe de ceux qui n’étaient qu’objets ?
  3. Comment prendre en compte le fait que tout discours de savoir est « situé » et énoncé à partir d’une place sociale, historique, géographique… mais aussi à l’intérieur de rapports de domination où s’entrecroisent la classe sociale, le genre, l’ethnicité, etc.
  4. Jusqu’à quel point est-il possible de maintenir les strictes barrières disciplinaires héritées de la tradition positiviste ?

Le paradigme décolonial prend en compte ces questionnements et propose des pistes qui toutes impliquent que l’on repense la notion d’universalité pour la rendre compatible avec celle d’une humanité nécessairement plurielle (Ali et Dayan-Herzbrun, 2017). Il s’agit alors, dans l’analyse des phénomènes sociaux contemporain d’opérer un décentrement, parfois même un renversement des perspectives, et :

  • de rendre visibles des dimensions jusque là occultées, en particulier la colonialité (du pouvoir et du savoir) et avec elle la race (ou la racialisation) ;
  • d'affiner l’approche intersectionnelle ;
  • d'inventer des approches véritablement transdiciplinaires ;
  • de faire appel à différents modèles interprétatifs, et pas nécessairement à ceux qui ont été forgés au « Nord » ;
  • de remplacer ce qu’on appelle la bibliothèque coloniale par une archive diversifiée et enrichie d’apports venant du « Sud », autrement dit de s’ouvrir à des épistémologies du Sud.

Un ou plusieurs ateliers, constitués à partir des propositions qui parviendront au comité d’organisation, pourraient réunir des chercheurs autour de ces différentes thématiques.