« Bien vieillir, c’est vieillir en famille ». Vieillissement et tensions morales dans le régime de care à Cuba
Mme Blandine DESTREMAU CNRS - Iris / EHESS | PARIS - France
Résumé : Le vieillissement démographique est très avancé à Cuba : l'âge médian est de 41,5 ans en 2018, au niveau de la France (contre 22,9 ans en 1960) et la population de plus de 60 ans représente 20,4 % du total. Or, le régime de care aux personnes âgées est explicitement et implicitement familialiste. Explicitement du fait de la norme morale selon laquelle "bien vieillir, c'est vieillir en famille", et qu’il est normal que les filles se consacrent au soin de leurs parents très âgés. Et implicitement en raison de la rareté des options accessibles –organisation du care à domicile - ou acceptables –l’accueil en institution fait l’objet d’une forte opprobre. Sur la base de dix ans de travail de terrain ethnographique à Cuba, je montrerai comment les économies morales de la justice sociale et intergénérationnelle – les très vieux d’aujourd’hui sont la génération révolutionnaire - , de l'autonomisation des femmes – égalité civique et politique, éducation, engagements professionnels, réduction de la fécondité - et du care familial entrent en tension dans un contexte de crise économique. Ainsi, le « déficit de care » (Hochschild, 1995) s’accompagne d’une crise morale individuelle – sentiment de sacrifice et de culpabilité – , familiale – maltraitances, négligences et évitements– et sociale – vieux isolés, appauvris et en manque de soins. Ces tensions et les attentes de la génération vieillissante semblent conduire à une évolution des politiques publiques et du régime de care aux âgés.